Les nouveaux chiens de garde (le film)

Au coeur du régime démocratique, la liberté de l’information est un pilier fondamental. Faut-il encore qu’elle s’exerce pleinement et sans entrave de la part du pouvoir politique, économique et financier.
Adapté du livre de Serge Halimi écrit en 1997, augmenté en 2005 et mis en image en 2011, Les nouveaux chiens de garde illustre les diverses formes de collusion que peut subir le journalisme.
Grands groupes de médias et petit ménage de journalistes
Lagardère, LVMH, Bouygues, Bolloré, rares sont les titres réellement indépendants. Être la propriété d’un grand groupe est une chose courante. La question de l’indépendance des titres est remise en cause par la diversité des activités de ces grands groupes. Armement, bâtiment, construction, mode, luxe, transport la liste des domaines sensibles est considérable. Lorsque le Canard Enchaîné révèle des malfaçons sur le chantier Bouygues d’un réacteur nucléaire, TF1, filiale du constructeur, ne relaie pas l’information.
Être propriétaire ne signifie pas forcément être rédacteur en chef. Les petites mains, les pigistes, les journalistes en CDD, les auteurs de rubriques considérées comme secondaires sont souvent loin d’adhérer aux contraintes mais leur précarité est un frein à leur liberté. La collaboration consciente est le fait des grandes plumes, des directeurs et éditorialistes. Et quoi de mieux comme preuve qu’un dîner mensuel réunissant les grands PDG, hauts fonctionnaires, économistes, directeurs et rédacteurs au sein du club Le Siècle, ultra-fermé et confidentiel, au restaurant de l’hôtel Crillon. Honnêtement faire partie d’une telle entité, si opaque soit-elle ne me dérange pas plus que ça. Elle ne m’étonne pas outre mesure. Elle pose cependant des questions quand au lien que peuvent développer les journalistes envers leurs sujets d’étude. Comment entreprendre une enquête sur les malversations d’un politique si l’on partage sa table une fois par mois. Ce journalisme dit « à la papa » où les confidences se déroulent autour d’un déjeuner est remis en cause ces dernières années par la jeune génération de journaliste. Génération qui ne gravite guère dans les hautes sphères médiatiques.
Dernier problème sensible, le cas des ménages. Ces prestations réalisées par des journalistes, payés par une entreprise pour promouvoir son nouveau produit, faire une conférence ou animer une réunion de cadres. Christine Ockrent était une adepte de ses organisations, le fait semblait être connu de la profession sans que ça n’émeuvent plus que ça les garant de la déontologie. Si à l’époque du tournage l’ancienne présentatrice avait arrêté ses prestations ce n’est pas en conséquence d’une sanction mais bien par ce que l’affaire prenait trop de proportion. Une séquence montre un faux patron désirant avoir une liste des journalistes disponibles, nous sommes en 2011 et à ce jour les professionnels cités disposent toujours de postes haut placés. On pourrait penser à ce stade qu’il ne s’agit que d’un aspect purement financier, un appât du gain qui ne compromet que la crédibilité du prestataire. Et si ça allait plus loin ? Isabelle Giodarno a effectué la présentation d’un nouveau produit pour Sofinco et qui invite-t-elle dans son émission Service public traitant de la consommation ? Le patron de Sofinco ! Pourquoi se gêner…
Des experts économiques vraiment indépendants ?
Chercheur au CNRS, universitaire ils peuplent les émissions d’actualité, débattent entre eux et viennent faire leur promotion. Mais savez-vous vraiment quelle est la deuxième profession de ces hommes ? Les présentateurs, lors de leur tour de table se refusent à mentionner l’intégralité des postes occupés par l’expert et ces derniers sont pourtant nombreux et le conflit d’intérêt pas loin. Banquier, membre d’un conseils d’administration ou conseiller d’une grande entreprise peuplent les CV de ces personnes censées nous expliquer comment fonctionnent l’industrie, la finance…
Jusqu’où peut-on leur faire confiance ? Les raisonnements appartiennent à une doctrine quasi-similaire d’un économiste à l’autre. A une question sur la précarité du salarié ils vous rétorqueront à l’unanimité sur les charges pesantes du patron.
Des experts intouchables ? 
Leur job est de comprendre le monde qu’ils étudient et d’en rendre compte. Comme n’importe quel travail, ils sont responsables et théoriquement devraient être sanctionnés en cas de manquement à la déontologie. Et ? Et bien rien ! Comme le nom l’indique, les experts sont capables d’analyse et de prévenir les mouvements futurs selon une analyse objective des évènements et non pas selon leurs engagements et leur idéologie. En 2008 survient la crise, d’abord américaine puis mondiale. Alain Minc, que rien n’ébranle, annonce avec certitude l’éphémérité de la crise, les Etats-Unis sont habilités à gérer les défauts de son économie. Visionnaire. Et après ? Ben rien ! Vous l’avez bien vu, Alain Minc est régulièrement invité, histoire de partager son expertise sur le monde politique et économique, sans discontinuer depuis 2008. Faut bien qu’on continue de s’marrer !
Les limites de la démonstration 
Il est un sujet qui mériterait à lui seul un documentaire : l’interview politique. Ce film n’est pas avare en ironie et quand il s’agit de mesurer la férocité et l’acharnement des journalistes et éditorialistes a obtenir une réponses satisfaisante le résultat est terrible pour les protagonistes et assez grotesque pour le spectateur. Il n’empêche que l’on ne peut suivre le constat sur les quelques extraits proposés, qui même s’ils sont pertinents ne sont pas suffisants pour quantifier à bien l’ampleur de la complicité et de la complaisance qui empoisonne l’exercice.
Le deuxième point qui m’a dérangé touche à l’affaire d’Outreau. Le fiasco judiciaire où des accusés ont vécu une descente aux enfers privée et publique avant d’être réhabilités. A l’écran un ancien accusé est invité à lire les articles de l’époque. Le résultat est écœurant. Les grands titres de presse, ceux à qui l’on demande du recul et de la dignité n’ont pas hésité à faire le lien évident entre chômage, alcoolisme et inceste. A les lire il n’est pas étonnant qu’une telle affaire a eu lieu à cet endroit tant la promiscuité et la misère règnent. Cependant les coupures de presse n’apparaissent pas à l’écran. Il était indispensable de les présenter pour un sujet aussi sensible qui présente un cas évident de diffamation, voire d’insulte à la population. De même allons jusqu’au bout histoire de découvrir si excuses il y a et surtout si sanctions il y a eu.
Certaines démonstrations sont assez convaincantes, en particulier sur des sujets techniques plus à même d’être manipulés. J’ai bien sûr des réserves. Les auteurs sont des hommes engagés à gauche, cependant la teneur du propos est souvent étayé par des évidences incontestables. Ne pas mentionner les différents postes qu’occupe un économiste censé être indépendant est une faute professionnelle.

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2 réflexions sur “Les nouveaux chiens de garde (le film)

  1. Le sujet est vaste et très intéressant, cela donne envie de se pencher sur le bouquin. Mais cela pose quand même certaines questions: le journaliste doit-il être transparent? Jusqu'à quel point? Faillible? Indépendant? Objectif ou non? Quel est l'idéal du journalisme, comment s'en rapprocher dans un monde où les médias sont tout de même financés par l'industrie? La critique est légitime, mais quelles sont les solutions? Et la responsabilité du lecteur/spectateur/audience? Merci en tout cas, pour cet article. Je rajoute que j'apprécie particulièrement ton blog, qui ne cède jamais à la facilité, et est toujours intéressant et documenté. Tu as un regard personnel et éclairant sur les média, et c'est très agréable à lire.

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  2. Très bonnes remarques ! On peut lui accorder une certaine faillibilité sauf quand c'est délibéré et caché du public. Les médias traditionnels ne s'en sortiraient pas sans grands groupes c'est certain. En revanche le fond peut suffire à assurer la pérennité des journaux. Médiapart est en excellente santé en faisant le pari de longs articles et de l'investigation, tout ce qui rebute les grands titres. Si c'est mes souvenirs sont bons le Financial Times a décidé de passer au tout-payant avec succès. Le futur du journalisme sera aussi une remise en cause de la qualité du travail.
    Et je ne ferai pas l'impasse sur ta dernière question, pour moi le public est autant responsable. C'est à lui d'agir en conséquence s'il sent que l'intégrité est atteinte.
    Merci merci merci ! Ton compliment me fait chaud au coeur. J'essaye de retranscrire au mieux mes idées, j'espère continuer à être honnête dans ces écrits; Les médias méritent autant de vigilance que n'importe quel autre domaine. Et merci de ta fidélité ! ^^

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