Les adieux au passé

Erdek (Istanbul Guide)

Petite je ne quittais jamais le pendentif offert à ma naissance. Je devais avoir 5 ans lorsqu’une fille me l’a arraché pendant une dispute. J’étais folle de rage, paniquée à l’idée de ne plus le retrouver. C’est bête car depuis il dort dans un tiroir. Quelques années plus tard mon oncle m’offre une médaille avec un ruban rouge et un médaillon doré. Comme pour le collier il est orné d’un croissant de lune et d’une étoile sur une face et de l’autre le portrait d’un homme. Le père de mon père. Le père de mes oncles. Le père des amis de mon père. Le père de son peuple. Son nom même est la traduction littérale de son statut : Atatürk.

Mon père a quitté la Turquie jeune dans le sillage de son frère aîné. Ici il s’est intégré à la communauté des immigrés turcs. Son frère cadet est resté au pays, y a fondé sa famille et une fois par an devenait notre compagnon de vacances entre l’appartement à Istanbul et une petite location en bord de mer. Ici et la-bas j’y retrouvais toujours la même chose: le portrait du fondateur dans un cadre ou gravé sur assiette accroché au mur. Les symboles étaient là, visibles sans pour autant dicter la vie quotidienne et les comportements sociaux. La Turquie c’était des paysages différents , une langue différente, un rythme différent mais des règles similaires. La religion se vivait comme en France. On n’en parlait jamais, ça ne se voyait pas. Le respect et la mythologie autour d’Atatürk étaient encore bien présents : l’homme moderne, laïc, le républicain, celui qui a accueilli les intellectuels juifs dès 1933, celui qui donna le vote aux femmes avant la France. La Turquie est un pays ô combien complexe avec ses zones d’ombres. Mais dans mon regard d’enfant il me semblait si proche.

Alors forcément lorsque les institutions internationales, les dirigeants et les reportages évoquent un islamiste modéré Erdogan parait inoffensif, jusqu’à devenir un partenaire diplomatique comme un autre. Islamiste modéré ça n’existe pas, c’est comme un fanatique apaisé c’est un contresens. On fait semblant de ne pas voir, de ne pas comprendre. Pensez un dirigeant qui qualifie de terroristes ses opposants n’est pas dangereux. Même mon père refusait de l’admettre. Sa grand fierté l’empêchait d’entendre les témoignages de mes cousins et cousines vivants la-bas. Vous l’avez peut-être remarqué quand les grands chiffres de l’économie sont bons les grands médias jugent inutiles d’approfondir leurs recherches. Cette manie a masqué l’autoritarisme rampant d’un sultan pathétique. Et ne pensez pas que je détourne les yeux de l’Histoire, toute figure marquante a sa part d’ombre. Atatürk a lui-même pratiqué l’autoritarisme pour pouvoir créer de toute pièce la République démocratique de Turquie. Pourtant son héritage est indéniable et hier 51,3% des votants ont accepté d’y mettre fin. Un résultat obtenu grâce à l’INCROYABLE COÏNCIDENCE entre le coup d’Etat militaire manqué et les désirs d’Erdogan.

Et justement lundi dernier mon cousin était en visite en France. Pour l’occasion nous avons revu des films de nos vacances passées ensemble. Nous avons le même âge et on passait notre temps à nous chamailler. Le soir les grands se marraient bien de nous voir danser près de la chanteuse sur la scène improvisée d’un restaurant. A 6-7 ans nous dansions comme des manches avec une gêne palpable. Parfois nous nous entendions bien. Lorsque ma grand-mère installait son tapis de prière sur le balcon face à la mer nous montions sur son dos pendant qu’elle se baissait et se relevait. Les passants étaient morts de rire. Aujourd’hui mon cousin est journaliste sportif pour la presse et la télévision. En tant qu’adhérant à un parti d’opposition il n’a pas le droit à la carte de presse. La police surveille de près les manifestations et les manifestants d’opposition. De toute façon il va partir. Son C.V intéresse les patrons d’une chaîne tv européenne. Ironie du sort dans ce possible pays d’accueil les expatriés turcs sont beaucoup plus nombreux à avoir dit oui au referendum que leurs compatriotes restés au pays.


11 réflexions sur “Les adieux au passé

  1. C’est ce qui me tue… seulement 51% de oui à Erdogan… mais une grosse majorité de ces votant ne vivent pas en Turquie… La communauté turque de Belgique a voté oui en masse : je le vois (avec mes yeux d’occidentale qui s’y connait bien peu et mal en politique internationale) comme l’utilisation de la démocratie à des fins peu démocratiques… Merci pour ce témoignage (que je vais partager de suite !)

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    1. Qu’est ce que ça aurait donné sans le vote des expatriés… C’est ça le pire, ils vivent dans des pays libres et décident d’enfermer leur propre pays où ils ne retourneront probablement pas vivre. Cette tendance est incroyable et d’une connerie sans nom ! Et ce paradoxe pervers que tu relèves très justement, la Turquie se lisait avec des yeux occidentaux, c’était une si grande fierté qui a fini par s’évaporer par la marche forcée d’un seul homme. Comme un peuple est fragile… C’est très gentil à toi, merci pour ce partage !

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  2. Même si ton billet fait écho avec l’actu (c’est effrayant…), il m’a beaucoup touchée, je trouve ça chouette quand tu te livres un peu 🙂

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    1. Comme quoi c’est sûrement le billet le plus spontané. J’avais pas les clefs pour en faire un billet ‘analyse’ et cette approche rend le résultat plus absurde. Je cite si peu de chose, ni le nom de mon cousin ni son employeur, j’avais peur que ça ne le desserve alors merci pour tes mots ^^ et j’espère qu’on aura pas à écrire le même dans quelques jours…

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